Ibrahima Coulibaly : « Il faut que les agriculteurs soient réellement au cœur du développement agricole »
Dans cette interview, Ibrahima Coulibaly, président de l’Organisation panafricaine des agriculteurs (PAFO), dénonce l’inefficacité des engagements agricoles en Afrique et plaide pour une réforme structurelle, incluant une meilleure allocation des budgets, l’inclusion des agriculteurs et un financement ciblé.
- Les objectifs de Maputo et Malabo ont-ils été atteints ? Le CAADP a-t-il rempli ses promesses ?
Il est largement reconnu que les objectifs des déclarations de Maputo et de Malabo, ainsi que ceux du Programme Détaillé pour le Développement de l’Agriculture Africaine (CAADP), n’ont pas été atteints. L’engagement de consacrer 10 % des budgets publics à l’agriculture reste largement non respecté dans la majorité des pays africains. Pire encore, les fonds alloués à l’agriculture sont souvent mal utilisés. La majorité des investissements sont concentrés dans les capitales et les grands centres urbains, laissant de côté les zones rurales, qui sont pourtant les véritables moteurs de la production agricole. Cette répartition inéquitable des ressources limite l’impact des initiatives sur la croissance agricole et sur le développement des territoires. Pour transformer durablement l’agriculture africaine, il est impératif d’augmenter les budgets alloués à ce secteur et de garantir que ces fonds parviennent réellement aux zones rurales, où les besoins sont les plus pressants. Il faut ainsi viser une croissance inclusive, qui réponde efficacement aux défis des populations rurales.
- Comment intégrer les agriculteurs dans la mise en œuvre de la déclaration de Kampala et leur permettre de bénéficier de la transformation agro-industrielle ?
Pour que les agriculteurs soient réellement au cœur des politiques agricoles, il est impératif de changer de paradigme. En Afrique, le développement repose trop souvent sur l’administration, excluant les acteurs économiques, les organisations paysannes et le secteur privé. Dans d’autres régions du monde, les gouvernements collaborent activement avec les agriculteurs, les ONG et les entreprises, un modèle inclusif qui favorise le développement économique. En Afrique, bien que l’agriculture soit reconnue dans les discours, elle n’est pas traduite en actions concrètes : manque d’investissements ciblés, absence de formation, de crédits adaptés et de soutien structuré.
La PAFO, en tant qu’organisation panafricaine représentant les organisations paysannes du continent, œuvre pour transformer ce modèle en plaçant les agriculteurs au cœur des décisions politiques. Elle soutient l’intégration des organisations paysannes dans les processus décisionnels afin de garantir que les besoins des producteurs soient pris en compte. Il est aussi crucial d’intégrer la jeunesse rurale dans des dynamiques économiques solides. L’agriculture doit devenir un secteur structurant, capable d’absorber cette main-d’œuvre et de stabiliser les territoires.
- Quels sont les principaux obstacles à la mise en œuvre rapide de la stratégie 2026-2035 ?
Le principal frein à la mise en œuvre efficace des stratégies agricoles en Afrique est l’absence de mécanismes de suivi opérationnel et de redevabilité. Sans un système rigoureux, il devient impossible de s’assurer que les engagements pris par les États sont respectés. La redevabilité doit être au cœur de toute transformation agricole pour éviter de nouveaux échecs. Il est essentiel d’instaurer des dispositifs transparents et efficaces pour suivre, évaluer et corriger les actions entreprises par les gouvernements et autres acteurs. Ce suivi doit aller au-delà de l’évaluation des fonds alloués et inclure une analyse de la qualité des investissements réalisés. De plus, il est impératif que les ressources allouées ne restent pas concentrées dans les capitales, mais qu’elles atteignent les zones rurales où les besoins sont les plus urgents. Pour y parvenir, des mécanismes de contrôle doivent être mis en place pour garantir que les fonds parviennent effectivement aux producteurs. Cela nécessite une gouvernance transparente et une collaboration active entre les autorités locales et les acteurs de terrain. - Que faut-il pour tripler le commerce intra-africain des produits agroalimentaires d’ici 2035 ?
La première étape pour renforcer le commerce intra-africain est de lever les barrières qui freinent les échanges entre les pays du continent. Il est inacceptable qu’en 2025, seuls trois pays – le Rwanda, le Kenya et le Ghana – offrent un visa à l’arrivée pour les Africains. Voyager à travers le continent reste une épreuve, marquée par des tracasseries administratives, des démarches bureaucratiques complexes et des pratiques de corruption aux frontières. Cette situation entrave non seulement les échanges commerciaux, mais aussi la circulation des personnes, freinant ainsi l’intégration régionale. Les gouvernements africains doivent impérativement s’engager à ouvrir leurs frontières pour faciliter les déplacements intracontinentaux. Il est également essentiel d’assainir les routes commerciales et d’éliminer les pratiques de racket exercées par les agents publics, qui sapent la confiance et augmentent les coûts des transactions. En parallèle, des investissements massifs dans les infrastructures de transport, notamment les routes et les chemins de fer, sont cruciaux pour fluidifier les échanges, réduire les coûts logistiques et stimuler le commerce intra-africain.
- Comment réduire les pertes post-récolte de 50 % d’ici 2035 ?
La réduction des pertes post-récolte nécessite une stratégie claire pour structurer le marché des produits agricoles. Actuellement, l’absence de mécanismes efficaces pour regrouper, transformer et commercialiser les produits entraîne des pertes massives. Cependant, il n’est pas nécessaire de développer de grandes exploitations agricoles pour réussir. Le modèle ivoirien du cacao, où les petits producteurs sont performants, montre qu’avec une bonne organisation, ces producteurs peuvent jouer un rôle clé. L’agrégation de la production et l’établissement de chaînes de valeur robustes, incluant des unités de transformation locales, sont essentielles pour limiter les pertes et maximiser les bénéfices. Le financement doit aussi être repensé pour offrir aux agriculteurs un accès à des crédits adaptés à leurs besoins. Si ces réformes sont mises en place, les pertes post-récolte seront considérablement réduites et les petits producteurs pourront pleinement profiter de leurs efforts. La clé pour transformer durablement l’agriculture africaine réside dans l’amélioration des structures, l’inclusion des producteurs, et un investissement massif dans les infrastructures et la levée des barrières commerciales.
PAFO